On confond souvent ces deux états d'âme que sont le repentir et la culpabilité parce que d'un premier abord, ils se ressemblent. Mais, tandis que le repentir, qui vient de la conscience divine en nous, est nécessaire à la purification de l'âme, la culpabilité quand à elle est basée sur un fonctionnement égocentrique et empêche le cheminement spirituel.
Pour purifier l'âme, il est d'une absolue nécessité de reconnaître nos fonctionnements intérieurs qui produisent en nous et chez les autres de la souffrance. Sans cultiver cette capacité à reconnaître nos défauts, il est complètement impossible de s'améliorer ou de se laisser améliorer par la Grâce de Dieu.
On peut dire que le regret issu du repentir véritable prend naissance dans deux sentiments intérieurs principaux : De la compassion pour la ou les personnes que l'on a fait souffrir (y compris nous-mêmes) et de la prise de conscience, le ressenti que notre manière d'agir n'était pas conforme à ce que nous sommes véritablement, à ce que nous voulions du fond de notre cœur. Dans un tel état d'être, notre conscience qui s'était obscurcie se retourne vers la lumière, et nous nous ouvrons à la présence divine sanctifiante dont nous sommes porteurs.
La culpabilité, elle, prend naissance en d'autres sentiments intérieurs... Le regret ne porte pas sur les conséquences de nos actes nuisibles pour autrui mais sur le fait que ces actes nous renvoient une image négative de nous-mêmes : l'autre n'est pas vraiment pris en compte. On se dit (consciemment ou inconsciemment) que l'on est mauvais et on croit que notre nature est mauvaise, ce qui est totalement opposé à ce que nous enseignent les maîtres de la chrétienté.
Lorsque l'on culpabilise ce n'est pas l'envie de devenir meilleur qui domine en nous : ce qui prévaut c'est l'envie de revaloriser l'image de nous-mêmes. Ici il n'y a pas d'ouverture, la compassion est étouffée, et notre conscience ne se retourne pas vers ce qui, en nous, pourrait l'éclairer.
Tandis que le repentir exige une certaine humilité, la culpabilité nait de l'orgueil.
En effet, la véritable humilité c'est de reconnaître que nous sommes imparfait et que, en tant qu'êtres fonctionnant sur la base d'un moi, nous cherchons toujours, d'une manière ou d'une autre, notre propre intérêt, à chaque instant... Cela n'est ni bien, ni mal, c'est un état de fait, et à part les Saints -qui ne sont plus dirigés par leur moi mais par Dieu-, tout le monde fonctionne ainsi.
Cet égocentrisme peut-être très subtil et inconscient et celui qui cultive véritablement l'humilité c'est celui qui essaie de reconnaître en lui, le plus souvent possible, cette 'saisie égoiste' et de ne pas y adhérer. Face à la prise de conscience du fonctionnement de son moi, il se sent démuni, et il entre en esprit et en vérité dans ce qu'enseignent les chrétiens : il n'y a que la Grâce de Dieu qui peut nous faire sortir de ce fonctionnement égocentré et nous amener à la sainteté.
Si on culpabilise au contraire c'est que l'on croit pouvoir avancer en ne comptant que sur nous-mêmes. Bien sur, pour cheminer vers l'union divine, il faut beaucoup travailler pour s'ouvrir peu à peu à la Grâce de Dieu, mais si, ultimement, il n'y a que cette Grâce qui peut nous libérer de nos défauts, pourquoi culpabiliser par rapport à un travail qui ne nous appartient pas ?
Notre travail à nous c'est de reconnaître nos limites avec de la bienveillance pour nous-mêmes, et de mettre en œuvre les pratiques que nous enseigne notre voie spirituelle pour d'une part nous habituer à faire le bien et d'autre part nous ouvrir à l'action de Dieu en nous. Le reste qui appartient à Dieu et à Lui seul demande beaucoup de temps.
Culpabiliser c'est refuser de se reconnaître imparfait, refuser de reconnaître ses erreurs, non par bonté ou quelque autre noble sentiment mais par orgueil. Si l'on regarde profondément en soi, et que l'on déjoue les ruses de l'égo qui voudraient nous faire croire que nous sommes toujours animés de bons sentiments, on verra cet orgueil à l'origine de la culpabilité qui dit « Comment ça ? Moi je ne fais pas d'erreur ! Je ne fais de mal à personne ! Je suis quelqu'un de bien ! Moi je suis mieux que les autres ! ».
Certaines personnes culpabilisent aussi en se rendant responsables de la souffrance des autres alors qu'elles n'ont rien fait de nuisible. Je crois que si elles regardent en elles, elles verront qu'elles se donnent trop d'importance, qu'elles n'acceptent pas de ne pas pouvoir changer ceux qui refusent d'avancer et qu'elles cherchent à 'sauver' les autres pour revaloriser une image d'eux mêmes mise à mal par leur histoire personnelle.
D'autres encore culpabilisent de s'être retrouvées dans des situations de souffrance (aggressions par exemple) pour lesquelles elles se rendent responsables. Or bien souvent, culpabiliser et se rendre responsable d'une situation c'est se donner l'illusion que l'on a un pouvoir sur elle, que l'on pourrait la contrôler. Mais faire le deuil d'une telle situation implique d'accepter notre impuissance et de vivre notre souffrance pour la traverser.
Il peut y avoir d'autres causes qui sont à l'origine de la culpabilité mais celles-ci reposent toujours sur une mésestime de soi, un manque profond d'amour ayant la plupart du temps son origine dans l'enfance.
La culpabilité présente encore un gros désavantage : à part les personnes ayant des tendances masochistes, personne n'aime la ressentir, ce qui implique que lorsque nous commençons à éprouver de la culpabilité pour nos erreurs, au lieu de reconnaître nos tords, nous refoulons immédiatement la culpabilité en rejetant notre responsabilité par rapport aux pensées, paroles ou actions nuisibles que nous avons commise envers autrui ou nous-mêmes. Ainsi il n'y a plus de repentir possible. De plus, ce n'est pas parce que la culpabilité est refoulée qu'elle n'agit plus : comme la culpabilité appelle au châtiment, lorsqu'elle est en nous, nous recherchons inconsciemment à être punit et nous nous mettons dans des situations qui nous apportent des difficultés ou alors nous ne faisons rien pour sortir de celles dans lesquelles nous nous sommes empêtrés.
Ce n'est pas un véritable problème de faire des erreurs car en tant qu'humain, nous en faisons forcément. Le véritable problème c'est de ne pas reconnaître nos erreurs, car cela nous amène à les répéter et nous empêche d'en tirer des leçons et donc de développer de la sagesse.
Voici un signe pour reconnaître si nous sommes dans l'humilité et le repentir ou dans l'orgueil et la culpabilité : Dans les deux cas nous ressentirons une certaine peine mais dans la culpabilité cette peine produira une tension intérieure, un enfermement, et cette peine ne cessera pas. Par contre, dans le repentir, cette peine coexistera avec un bien être du fait de la paix qui l'accompagne ; et une fois que le repentir aura accomplit en nous son œuvre de réajustement, la peine cessera d'elle-même sans effort de notre part.
Tout ceci étant dit, il ne faut pas se leurrer : nous sommes souvent dans la culpabilité. D'une part parce que nous avons du mal à nous aimer et à aimer les autres avec leurs défauts -ce qui engendre l'orgueil car si je ne peux m'aimer avec mes défauts, je ne dois pas en avoir et je dois être mieux que les autres pour continuer à recevoir de l'amour-, et d'autre part à cause des mauvais aspects de notre culture judéo-chrétienne issus des erreurs de compréhension spirituelle de nos ancêtres (« Dieu juge », « Dieu punit », « Toute erreur mérite un châtiment », « L'Amour de Dieu doit se mériter »...etc).
Lorsque nous nous égarons dans cette culpabilité, l'important est de la reconnaître en nous, de nous rappeler que par nature nous sommes divins, que l'Amour de Dieu nous embrasse tels que nous sommes, puis d'accepter humblement d'être imparfait (ceci étant le point le plus important), et d'essayer de nous mettre à la place des personnes que nous avons fait souffrir dans l'action pour laquelle nous éprouvons de la culpabilité. On peut également prier pour ces personnes afin d'approfondir notre compassion pour elles et d'aider à réparer les tords que nous leur avons causés.
C'est grâce à notre pratique spirituelle que la culpabilité s'en ira peu à peu : à mesure que l'amour de Dieu s'installera en nous, il nous remplira de bienveillance à l'égard des autres mais aussi à l'égard de nous-mêmes. Par l'expérience vécue et répétée de cet amour, nous pourrons nous aimer avec nos défauts, tels que nous sommes, et nous serons purifiés en profondeur de toutes les fausses idées et blessures du passé qui habitent notre subconscient et qui engendrent la culpabilité.